Captation de sons à Guédelon : au four et au moulin (11)

Dimanche, un jour pas comme les autres

J’aurais pu intituler ce billet « Le jour le plus long », mais c’est l’expression « Être au four et au moulin » qui a retenu mon attention.

Pour dire vrai, nous avons programmé notre déplacement en fonction des activités de ce jour. Nous avions raté les « Feux de Guédelon » en juillet (les éléments semblaient contre nous). Nous ne désirions pas rater la dernière cuisson de l’année : celles des tuiles, des carreaux et des poteries.

Ce dimanche était donc « extra » ordinaire puisque nous allions pouvoir participer et capter ce moment particulier d’une cuisson. Bon c’est un peu réducteur car, pour tout vous avouer, nous étions sur différents fronts en même temps et outre le feu des tuiliers et potier, nous avons également pu capter celui du talmenier, et bien d’autres choses. Mais gardons à l’esprit que le fil rouge de ce billet sera la cuisson des tuiles.

Arrivée sur le chantier avant la blanche alba

Ce dimanche, nous sommes arrivés tôt sur le chantier, vraiment très tôt. Nous sommes fin octobre, le jour se lève tard et se couche tôt : pour nous ce sera l’inverse.

Mais avant toute chose, afin que vous puissiez vous rendre compte de ce qu’est le four de potier de Guédelon, voici quelques photos :

Nous sommes donc en présence d’une sorte de tertre d’environ 3,5m de hauteur, sur lequel on peut monter pour surveiller la cuisson du haut.

On nous avait informé : on lance le feu à 6h pétantes. 5h30, nous sommes à pied d’œuvre (je ne vous parle pas du lever…. C’est une autre histoire). Dans le noir (pas d’électricité sur les chemins et pas de pleine lune pour guider nos pas), nous nous dirigeons vers le four. Le lancement du feu ne part pas de zéro : le four est déjà en préchauffe depuis 4 jours : il faut faire partir l’humidité du four et des pièces déposées à l’intérieur.

Alors, on ne va pas vous le cacher, dans le noir….faire une installation, ce n’est pas vraiment évident. Comme c’est le tout début de cette journée, que le feu n’est pas encore intense, après concertation, Martin et moi-même décidons d’une installation plutôt légère. Les raisons sont les suivantes :

• Il fait noir et on ne voit pas grand-chose. Monter un dispositif complexe sur une motte de 3,5 m de haut, le faire à l’aveugle pourrait être tentant, mais relèverait (un peu) de l’inconscience. Or nous avons envie que tout se déroule bien (et longuement) ;
• On ne sait pas quelle sera rapidement la température du feu ;
• On ne connait pas vraiment la stratégie du travail autour de l’alimentation du feu (malgré nos questions, il reste de nombreux points obscurs – comme la nuit qui nous entoure, ai-je envie de dire… bon, je l’ai écrit).

La décision sera de positionner un dispositif léger en bas. Le choix se porte donc sur l’enregistreur numérique Zoom H6n et un micro Oktava et sa capsule cardioïde (celui qui a fait la campagne de grappage : nous sommes certains qu’il tiendra la chaleur) ; associé à un bras flexible et un câble de 3m (pour éviter les grandes longueurs dans un environnement inhabituel). On fait pragmatique : perdre un petit câble XLR coûte moins cher. Voici l’installation :

L’installation faite, nous pouvons observer et écouter le feu. Son alimentation se fait sur le devant de l’ouverture. Il ne ronronne pas encore, mais crépite et chante clair.

Quelques échanges avec les artisans, les rassurer sur notre installation (surtout les rassurer sur le micro : il a déjà enregistré en atmosphère extrême et si jamais il lui arrive quoi que ce soit… c’est moins grave que si on perdait un Schoeps – qui coûte, au bas mot, 2000 €). Le jour commence à se lever, il fait un peu plus jour.

Nous allons rendre visite au talmenier : un autre feu en perspective.

Après les tuiles, le pain

Max nous accueille avec sa bonne humeur. Il concocte des pains de toutes sortes, les cuit devant nous. Un vrai festival sensoriel. Avec lui, c’est l’ouïe, la vue, le toucher, le goût et l’odorat qui sont à la fête. Et puis il raconte si bien sa passion !

Son four est encore bien tiède, le rallumer sera un jeu d’enfant. Et il fera d’une pierre deux coup, puisque cela lui permettra d’allumer la cheminée, juste à côté.

Une chance pour nous, les Oktava sont vendus par paire. Nous pouvons donc positionner le second Oktava avec une capsule sur le second bras flexible qui enregistre le four à pain et un micro Schoeps hypercardioïde sur un grand pied vers l’âtre.

Pendant que nous laissons l’enregistreur tourner, je file faire un tour sur le chantier et j’en profite pour retourner rapidement vers le four à tuiles. Tout va toujours bien. On peut tranquillement se rendre…. au moulin. Et voici donc pourquoi, à Guédelon, on peut être à la fois au four et au moulin.

Le moulin

Nous avons décidé de faire une nouvelle captation du moulin car à l’écoute de notre travail initial, j’avais détecté des frottements et des grincements qui me semblaient être des prémices à des usures précoces.

Nous descendons donc au moulin. Nous avons programmé finement notre travail. Il nous faut 1h00 pour l’installation qui réclame pas mal de matériel. Lors de cette installation, nous allons cibler plus particulièrement les engrenages situés sous la meule, mais également la meule elle-même. Constantin, le meunier, viendra nous ouvrir les vannes vers midi. Cette installation fera l’objet d’un billet plus spécifique.

Il est bientôt 13h00, nous devons nous presser : nous avons rendez-vous au pigeonnier. Stéphane dirige les travaux pour monter la charpente – et entre temps, il nous faut nous restaurer.

De retour vers le village

Mais revenons à notre four de tuiles. Un crochet vite fait pour vérifier l’état des piles. Enfin, vite fait…Vu la tête des oeuvriers, il s’est passé quelque chose. Ils me montrent le micro. Comment dire…: il fait une drôle de tête.

Première réaction, regarder l’enregistreur et vérifier que le micro, lui, fonctionne toujours. Ouf, il est toujours opérationnel. Donc rien de grave, juste la bonnette qui a pris…. un coup de chaud. Il faut dire que maintenant, ce n’est plus un ronronnement, mais la fournaise commence vraiment et le feu…. ronfle.

On peut se rendre sur le pigeonnier pour capter le début de l’assemblage de la charpente. Entre deux opérations, je reviens faire un tour vers le four. Tout semble correct, pourtant, je sens de la tension côté des tuiliers : ils entendent des « petits bruits » qui ne les rassurent pas. Des petits bruits ? Où ? en haut, vers le dôme. Il doit y avoir une solution pour les tranquilliser : ni une ni deux, je file chercher un autre oktava, je le branche… et on écoute. Non, pas de « petits bruits » suspects, mais des braises qui s’écroulent :

Tout le monde est rassuré. Ils peuvent continuer à alimenter le feu qui ronfle de plus en plus. La chaleur est de plus en plus intense, non seulement devant la bouche du four, mais également sur le dessus.

La chaleur du four dans la fraicheur de la nuit

C’est la fin de la journée, le public quitte la place et nous restons pour continuer à enregistrer la cuisson. Tous les artisans vont se retrouver autour du four et déguster un pot au feu. Le jour tombe rapidement. L’intensification du feu (devant, dedans, plus au fond, car les tuiliers poussent les braisent incandescentes avec le ringard) apporte de nouveaux bruits.

Un regard avec Martin, en même temps, on décide de compléter le dispositif déjà en place. On va ajouter 2 micros…. sur le dôme….. enfin au plus près du feu. On prend le risque, mais on désire enregistrer ce qui se passe dans le foyer. Pour ce faire, on va déployer le BLM (sur le muret qui entoure le foyer) et un DPA que je vais faire glisser le long du muret et le faire reposer sur le dôme. On croise les doigts pour qu’ils résistent tous deux à la chaleur.

Ronflement du feu au-dessus du foyer (avec le DPA) :

Assez rapidement la nuit s’illumine et dès 20h30, les flammes dansent bien au-dessus des tuiles (entre 0,7 et 1 m). Là-haut, il fait vraiment chaud (même pour moi qui ne crains absolument pas la chaleur). Les tuiles deviennent bordeaux sous l’effet de la chaleur.

Le feu à 18h44 : l’alimentation se fait près de la bouche.

20h02 : Le feu s’intensifie. Les flammes éclairent la nuit et dansent jusqu’à près de 70 cm au-dessus des tuiles incandescentes.

Il est 20h40. Les tuiliers augmentent l’alimentation en bois et étendent la zone sur le devant du four (pour avoir plus de braises à pousser au fond du four). Voyez la longueur des bois. Ils seront poussés avec un long ringard en acier (pour alimenter le très fond du four).

A 22h00, les premières tuiles sont sorties du four et….  si la tuile sonne clair, c’est que la cuisson est bonne et que l’on pourra cesser de pousser le feu.

Écoute : Le chant de la tuile qui refroidit :

Le tuilier fait tinter les 2 tuiles témoins. L’une sonne plus clair que l’autre. Sa cuisson est bonne.

Décision est prise de prolonger encore une demi-heure l’alimentation du feu.

A 22h15, le verdict tombe : les tuiles sonnent clair. Rapidement, on cesse d’alimenter le feu et les tuiliers bouchent la bouche avec des adobes pour permettre à la chaleur de continuer à faire son œuvre (comme une sorte de mijotage).

J’ai la joie d’annoncer à notre assemblée que nos 4 micros ont survécu à l’épreuve du feu, même le petit DPA (comme quoi, on peut être petit mais costaud !).

Dernier point, voici le schéma de notre dispositif

Nous retrouvons notre lit, bien fourbus mais vraiment très content de notre journée ; il est pratiquement minuit. Nous, on regagne, dans le noir, le parking.

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Crédits photos et vidéos : ©PI2A-Audio/MSH-LSE/UAR2000/CNRS

Four du potier de Guédelon (image de gauche) : File:Four potier guédelon.JPG. (2020). Wikimedia Commons, the free media repository. from https://commons.wikimedia.org/w/index.php?title=File:Four_potier_gu%C3%A9delon.JPG&oldid=455384071.

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